Martin Jumbam
J'ai suivi sur les ondes de la Cameroon Radio and Television (CRTV) un reportage poignant et pathétique sur une activité apparemment très lucrative, et en plein essor, notamment le trafic de filles de notre pays vers le Moyen-Orient. Ces filles vont à la recherche d’une vie meilleure en terre arabe et finissent, pour la plupart, semblerait-il, comme esclaves sexuelles et domestiques. L’appel qui a été lancé, par les filles secourues, en larmes, en direction des pouvoirs publics pour qu’ils viennent en aide à leurs sœurs en détresse, encore captives dans les domiciles des patrons esclavagistes arabes, ne saurait laisser personne indifférent. Et j’espère que, comme certains d’entre nous, les autorités sont sensibles à cet appel de détresse. Si tel est le cas, peuvent-ils intervenir ?
Bien entendu, je suis conscient des efforts louables que déploient des organismes de charité, comme la Commission Justice et Paix de l’Église catholique, dans la Province Ecclésiastique de Bamenda (Bamenda et Kumbo, notamment), pour sauver ces jeunes filles et les ramener à la maison. Ces organisations méritent d’être soutenues par l’État.
Toutefois, nous pourrions être tentés de focaliser toute notre attention sur le Moyen-Orient au point de détourner notre regard de ce qui se passe dans notre voisinage – dans nos domiciles. Plusieurs des jeunes filles, mais certainement pas toutes, qui font le ménage dans nos maisons, préparent nos repas et prennent soin de nos enfants, ne sont parfois pas dans une situation meilleure que celle des jeunes filles réduites à l’esclavage dans les pays arabes.
Voici un bon exemple. On raconte l’histoire d’un prêtre Jésuite à Douala, qui avait été principal du Collège Libermann, l’un des plus prestigieux établissements d’enseignement secondaire catholique du pays. Plusieurs diplômés de cette institution, depuis plusieurs décennies, occupent des fonctions élevées dans tous les domaines d’activités des secteurs public, privé et confessionnel au Cameroun et ailleurs.
Un des anciens élèves de cette institution, ayant connu un parcours professionnel élogieux et heureux d’avoir rencontré son ancien principal, a invité ce dernier à dîner dans sa somptueuse villa dans l’un des quartiers les plus chics de la ville de Douala. L’ancien élève et son épouse étaient très contents de montrer à leur invité leur luxueuse villa, symbole visible de richesse et de réussite. Ils étaient fiers d’expliquer au prélat combien ils étaient généreux vis-à-vis de l’Église et des organisations caritatives de la région. Pour eux c’était la seule façon de témoigner leur gratitude au Seigneur pour sa bonté manifestée à leur égard.
Toutefois, l'attention du prêtre avait été captée par la présence d’une jeune fille, âgée d’à peine dix ans, la mine triste, un bébé sur le dos et occupée à laver l’un des multiples véhicules du couple dans la cour. À peine s’étaient-ils assis pour prendre l’apéritif, que son regard fut attiré une fois encore par cette même fillette qui entrait et sortait de la cuisine, s’activant pendant de longues minutes pour préparer à manger, tout en courant pour satisfaire aux caprices des trois enfants du couple, qui criaient et pleuraient tous à la fois, pour rien et pour tout. À un moment, lorsque les cris des enfants sont devenus plus forts, la femme énervée, est allé précipitamment dans la cuisine et s’est mise à réprimander et menacer la jeune fille en lui intimant l’ordre de donner aux enfants ce qu’ils voulaient afin qu’ils cessent de perturber leur auguste invité. Elle est revenue ensuite se joindre à son époux et au prêtre dans la salle de séjour, visiblement embarrassé, maugréant et expliquant combien il était difficile ces jours d’avoir une bonne ménagère. « Elles veulent toutes de l’argent, mais elles ne savant rien faire, » déclara-t-elle en se lamentant.
Après avoir observé la scène pendant quelques minutes, le prêtre demanda qui était cette jeune fille. La femme répondit d’un air dédaigneux, « C’est une fille Bamenda. Elle ne sait pratiquement rien faire, mon Père. »
Le prêtre ne pouvait plus supporter ce qu’il avait vu et entendu. Il se leva, remercia le couple de leur invitation, les félicita pour leur réussite visible à travers leur belle villa et leur train de vie, et il leur dit qu’il fallait qu’il prenne congé d’eux. Toutefois, il expliqua qu’il se sentait très mal à l’aise face la façon dont le couple traitait leur ménagère, un être humain comme eux. Avant de partir, il fit référence à un passage Biblique en disant : « Elle est votre ‘Onesimus’ » en parlant des lettres pastorales de Saint Paul, notamment la Lettre à Philémon, dans laquelle Paul exhorte Philémon, un ancien propriétaire d’esclaves, à accueillir un esclave fugitif, qu’il [Paul] avait converti à Rome. Paul dit à Philémon qu’Onesimus n’est plus un esclave, mais un frère pour eux.
Au moment où nous décrions, à juste titre, d’ailleurs, le sort de nos sœurs réduites à l’esclavage par des Arabes dans la péninsule arabique, nous devons également jeter un regard plus près de nous, dans notre propre maison, peut-être, ou chez le voisin. Il se pourrait qu’il ait une jeune fille désespérée, qu’on désigne avec mépris « la fille Bamenda », qui vit son « Koweït », totalement à notre insu. Il est grand temps pour nous d’ôter d’abord la poutre qui nous empêche de voir les injustices qui sévissent autour de nous avant de chercher à enlever la paille dans les yeux des esclavagistes et violeurs arabes.
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